TRANSFERT DE RISQUES ET PRĂCARISATION
PensĂ©e avant de mâendormir hier, et notĂ©e sur un bout de papier.
La prĂ©caritĂ© câest le transfert du risque des classes aisĂ©es vers les classes les plus pauvres.
Autrement dit, la âprĂ©caritĂ©â est toujours lâeffet dâune prĂ©carisation, câest-Ă -Ă -dire dâune sĂ©rie dâactes quasiment toujours dĂ©libĂ©rĂ©s. Quand il sâagit de la prĂ©caritĂ© Ă©conomique, dâune « politique de prĂ©carisation ».
(câest-Ă -dire dâun transfert de risque. Logique bien connue des compagnies qui investissent dans les zones extractivistes dâun pays tiers : les Ătats hĂŽtes, pour sĂ©duire les investisseurs Ă©trangers, minimisent les risques pour les compagnies, en les transfĂ©rant sur lâĂtat lui-mĂȘme, câest-Ă -dire les citoyens â par exemple en promettant aux investisseurs les plus bas salaires, des exemptions de charges sociales, des subventions prises sur des budgets qui auraient pu servir Ă dâautres fins, etc.)
Naturaliser le prĂ©cariat (voire le âpsychologiserâ, tendance quâon observe Ă droite comme Ă gauche, comme sâil Ă©tait naturel, dans « toute sociĂ©tĂ© », quâil y ait des populations condamnĂ©es Ă la prĂ©caritĂ©, que des gens luttent pour leur survie pendant que dâautres jouissent dâune sĂ©curitĂ© garantie par lâĂtat), câest passer sous silence les politiques de fabrication du prĂ©cariat.
Cette fabrication du prĂ©cariat va de pair avec des politiques de sĂ©curisation des classes les plus aisĂ©es, câest-Ă -dire visant Ă minimiser pour elles les risques de perdre leur monde â sĂ©curisation qui est aussi Ă entendre littĂ©ralement comme mise Ă disposition des forces de lâordre pour protĂ©ger ces classes aisĂ©es, et, plus largement, des forces armĂ©es, militaires notamment, pour assurer lâextraction et la circulation des marchandises et des capitaux dans le commerce mondial (en faisant la guerre par exemple, en militarisant les frontiĂšres, etc)
Les politiques nĂ©olibĂ©rales dĂ©ployĂ©es actuellement dans le monde, malgrĂ© toute leur diversitĂ©, se rejoignent sur cette gestion « de classe » des risques. La prĂ©carisation croissante des prolĂ©tariats dans le monde se conjugue avec la sĂ©curisation croissante des classes qui jouissent de la plus grande prospĂ©ritĂ© (y compris dans le transfert de la richesse de lâĂtat vers les classes les plus aisĂ©es â la re-distribution a rarement Ă©tĂ© aussi peu Ă©quitable)
Ă lâhorizon de la catastrophe climatique, considĂ©rĂ©e par les nĂ©olibĂ©raux comme une âcriseâ, autrement dit, une opportunitĂ© pour le business, et non pas comme une catastrophe, il nâest pas Ă©tonnant que le processus dâaccaparement des richesses de la part des classes les plus aisĂ©es, orchestrĂ©e par les gouvernements, sâaccĂ©lĂšre : on assiste bien Ă la mise en place dâune stratĂ©gie sĂ©cessionniste (« lâextractivisme total » dâAlexander Dunbar) dâun : « on prend tout et aprĂšs nous le dĂ©luge ».
La prospĂ©ritĂ© des uns dĂ©pend de la prĂ©carisation des autres. Dit autrement, les populations prĂ©carisĂ©es finiront par nâhabiter que des « zones de sacrifice » â des territoires dâextraction, de production, des zones toxiques, dĂ©vastĂ©es, des zones de guerre. Dâune certaine maniĂšre, la bande de Gaza annonce le futur dâune part croissante de la population mondiale.
ConsidĂ©rer ce tableau comme une dystopie future, câest oublier quâil en est ainsi finalement depuis lâextension de la gĂ©ographie et de lâhistoire coloniale, câest oublier ce que les populations des pays colonisĂ©s ont vĂ©cu durant plusieurs siĂšcles.
(on peut tenir le mĂȘme raisonnement concernant les populations dites âvulnĂ©rablesâ au changement climatique â lĂ aussi, on naturalise leur condition de vulnĂ©rabilitĂ©, non sans appliquer une vision raciste et coloniale, et on passe sous silence les processus de vulnĂ©rabilisation qui se lisent aisĂ©ment dans lâhistoire pour peu quâon sây penche sĂ©rieusement : le livre de Kasia Paprocky, Threatening Dystopias : The Global Politics of Climate Change Adaptation in Bangladesh (2021, Cornell University Press), dĂ©crit avec beaucoup de soin cette histoire et ces politiques de vulnĂ©rabilisation qu'on eut Ă souffrir les populations paysannes du delta du Gange au Bangladesh (depuis les tous dĂ©buts de la colonisation britannique)
https://outsiderland.com/danahilliot/naturaliser-les-vulnerabilites-au-changement-climatique-retour-sur-threatening-dystopias-de-kasia-paprocky/
Bref : il faut, comme souvent, quand on utilise des expressions comme prĂ©caritĂ© ou vulnĂ©rabilitĂ© (mais aussi pauvretĂ©, prospĂ©ritĂ©, etc..) s'obliger Ă penser Ă la forme "active" des verbes dont elles dĂ©pendent : pas Ă©tonnant du reste que des verbes comme "prĂ©cariser" ou "vulnĂ©rabiliser" fassent figure de nĂ©ologismes en français. La langue elle-mĂȘme est sous-tendue par des logiques de naturalisation bourgeoise.
#precarite #politique #prosperite