X, Facebook et Instagram menacent nos Ă©cosystĂšmes dâinformation : quelles alternatives ?
Cet article est paru le 20 janvier 2025 sur The Conversation France.
Lâillustration choisie ici est un extrait de la BD de science-fiction Mediaentity, par Simon & Emilie (CC by-nc-sa)
Alors que Donald Trump, alliĂ© dâElon Musk, le propriĂ©taire du rĂ©seau X (ex-Twitter), sâinstalle Ă la Maison Blanche, lâinquiĂ©tude grandit concernant lâimpact des grandes plates-formes amĂ©ricaines sur les dizaines de millions dâutilisateurs qui sâinforment par leur intermĂ©diaire. De nombreuses voix appellent Ă quitter ces plates-formes, mais quelles sont les alternatives ?
LâObservatoire international sur lâinformation et la dĂ©mocratie, pensĂ© comme un « GIEC » de notre Ă©cosystĂšme informationnel, a publiĂ© son tout premier rapport, ce 15 janvier. Ce rapport intervient alors que lâĂ©tat de notre Ă©cosystĂšme dâinformation et de communication semble sâeffondrer sous nos yeux.
En France lâannĂ©e 2024 aura Ă©tĂ© marquĂ©e par les acquisitions de mĂ©dias par des milliardaires. Aux USA, lâhomme le plus riche du monde) a engagĂ© sa plate-forme X (ex-Twitter) au profit de la campagne de Donald Trump. Elon Musk en Ă©tait dĂ©jĂ le premier donateur.
Si rester sur X nâest plus une option, difficile de se rĂ©soudre Ă perdre des annĂ©es de publications et de constitution dâune audience. QuâĂ cela ne tienne : dĂ©veloppĂ©e en partenariat avec le CNRS, la plate-forme HelloQuitX fournit tout le nĂ©cessaire pour migrer vers Mastodon ou Bluesky. IncarnĂ© dans les mĂ©dias par le directeur de recherche David Chavalarias, le collectif apolitique et transpartisan a fixĂ© la date de lâexode au 20 janvier 2025, date de lâinvestiture du nouveau prĂ©sident des Ătats-Unis.
Reste un impensé de taille : est-il bien raisonnable de perpétuer une forme de communication modelée pour capter notre attention ?
Ă lâheure oĂč Mark Zuckerberg emboĂźte le pas Ă Elon Musk pour aligner ses propres plates-formes (Facebook, Instagram, WhatsApp) avec les intĂ©rĂȘts de lâadministration Trump, il est crucial de reconnaĂźtre que les grands rĂ©seaux sociaux amĂ©ricains ne peuvent continuer de jouer le rĂŽle dâinfrastructures de nos communications. Surtout, la prise de contrĂŽle de ces mĂ©dias au profit de politiques rĂ©actionnaires vient rĂ©vĂ©ler au grand jour leur pouvoir de nuisance, documentĂ© de longue date par la recherche.
DĂšs lors, pouvons-nous nous contenter de remplacer des rĂ©seaux devenus infrĂ©quentables, par dâautres qui en reproduisent les fonctionnalitĂ©s ?
Lâoiseau Twitter cache la forĂȘt des rĂ©seaux sociaux toxiques
NĂ© de lâhybridation du blog et de la messagerie instantanĂ©e, le microblogage consiste Ă publier de courts messages par le biais dâune plate-forme qui assure leur diffusion en temps rĂ©el et leur archivage. Ă lâimage des dĂ©pĂȘches de presse, les publications sont agrĂ©gĂ©es sous forme de flux destinĂ©s Ă une consultation continue. Câest le format retenu par lâensemble des grands rĂ©seaux sociaux contemporains.
En quelques annĂ©es seulement, le « tweet » est devenu un rouage incontournable de la circulation de notre information. Alors que les politiques ont saisi la possibilitĂ© de sâexprimer en direct, les journalistes y ont trouvĂ© une source familiĂšre dâinformations en accĂšs immĂ©diat. Les uns comme les autres en sont devenus dĂ©pendants. Ă tel point que lâacquisition de Twitter par Elon Musk a rĂ©vĂ©lĂ© le cruel dilemme de journalistes tentĂ©s de partir mais bien en peine de sauter le pas. Quant aux politiques devenus dĂ©pendants de ce substitut aux communiquĂ©s de presse, ils semblent rechigner Ă montrer lâexemple.
MotivĂ© par des enjeux de visibilitĂ© et de performance (nombre de followers, de republications et autres « engagements » mesurables), le microbloging incite Ă publier plusieurs fois par jour, pousse Ă jouer sur les Ă©motions, entrave lâexposition dâanalyses complexes et favorise le « clash ». VĂ©ritable technologie au service des « petites phrases », par ses contraintes Twitter aura renouvelĂ© le discours politique dâune bien triste maniĂšre. Comme le rĂ©sumait Romain Badouard, dĂšs 2017:
« La forme lâemporte dĂ©finitivement sur le fond et les spĂ©cificitĂ©s techniques de la plate-forme ont fait naĂźtre un environnement dâĂ©change Ă la fois simpliste, conflictuel et moralisateur. »
Rejoindre HelloQuitteX en 3 minutes pour migrer de X vers Mastodon ou Bluesky.La plate-forme alternative Bluesky a beau donner le sentiment de renouer avec le Twitter des origines, elle nâen porte pas moins lâADN, tant dans sa forme fonctionnelle que dans son financement. Plus vertueux, le rĂ©seau social open source Mastodon sâappuie sur lâinfrastructure distribuĂ©e du Fediverse qui le met Ă lâabri des obligations de croissance exponentielle propres aux start-up Ă lâamĂ©ricaine telles que Bluesky. Pourtant sur le plan fonctionnel, Mastodon demeure un service de microbloging inspirĂ© du modĂšle de feu-Twitter.
Les sept plaies des réseaux sociaux traditionnels
Quâil sâagisse de Twitter, Facebook ou Google, tout un pan de la recherche en sciences de lâinformation a dĂ©montrĂ© que le dĂ©veloppement des grandes plates-formes du numĂ©rique a dĂ©tĂ©riorĂ© notre Ă©cosystĂšme informationnel. Le problĂšme peut se traduire en 7 plaies (cf. infographie ci-dessous) qui sâarticulent dans un vĂ©ritable cercle vicieux. Celui-ci dĂ©coule dâintĂ©rĂȘts Ă©conomiques Ă©vidents en matiĂšre de publicitĂ©s Ă haute frĂ©quence, mais aussi dâenjeux dâinfluence comme en attestent les rĂ©cents dĂ©veloppements politiques aux USA.
Avant lâavĂšnement des grands rĂ©seaux sociaux, câest la domination de Google qui a marquĂ© durablement le web. Pour quâune page soit bien rĂ©fĂ©rencĂ©e, le fait dâĂȘtre reliĂ©e Ă beaucoup dâautres pages web est devenu plus important que la qualitĂ© et Ă lâoriginalitĂ© de son contenu (valorisation du lien hypertexte). Il est dĂ©sormais plus rentable de produire une information dupliquĂ©e et non vĂ©rifiĂ©e quâune information originale. VoilĂ pourquoi nous sommes noyĂ©s par des informations de piĂštre qualitĂ© (infobĂ©sitĂ©), parmi lesquelles nous avons grand peine Ă distinguer le vrai du faux (fake news). Les algorithmes de recommandation plĂ©biscitent les contenus les plus sensationnels et les moins qualitatifs, tandis que la presse nâa plus les moyens dâinvestir dans la production dâune information originale et de qualitĂ© (dĂ©fiance envers les mĂ©dias). Notre entourage apparaĂźt plus digne de confiance tandis que les rĂ©seaux sociaux amplifient cette tendance Ă sâinformer auprĂšs de personnes qui nous ressemblent (bulles de filtre). De plus en plus Ă©loignĂ© des points de vue diffĂ©rents, nous avons tendance Ă radicaliser nos positions et nos propos. Nos positions exacerbĂ©es deviennent inconciliables (brutalisation). Enfin, afin de maximiser les affichages publicitaires, les interfaces des plates-formes ont Ă©tĂ© peaufinĂ©es au fil des annĂ©es pour capter et retenir lâattention. Ces pratiques entretiennent lâensemble des six autres plaies pour constituer la septiĂšme (addiction).
Régénérer notre écosystÚme informationnel
Les plates-formes numĂ©riques nâauraient pas la forme que nous leur connaissons si elles nâĂ©taient pas guidĂ©es par une course Ă la croissance exponentielle, la volontĂ© de capturer notre attention et celle dâinfluencer nos comportements. Ce constat devrait nous dĂ©courager de compter sur dâhypothĂ©tiques gĂ©ants europĂ©ens du numĂ©rique inspirĂ©s par le modĂšle des gĂ©ants amĂ©ricains : tout comme nos avions Airbus nuisent autant au climat que ceux de Boing, des « alternatives à » Twitter et Facebook ne sauveront pas lâĂ©cosystĂšme informationnel.
Le 13 janvier 2025, lâĂ©quipe de Mastodon a annoncĂ© la dĂ©cision de confier lâavenir de la plate-forme Ă une organisation Ă but non lucratif de droit europĂ©en. Pour son fondateur, Eugen Rochko, la start-up nâa jamais Ă©tĂ© quâun vĂ©hicule temporaire Ă son projet, Ă©tant donnĂ© que lâespace public doit nous appartenir Ă toutes et tous. De fait, comme toute autre innovation sociale, lâĂ©mergence dâalternatives dans le domaine du numĂ©rique exigerait un environnement plus favorable aux structures de lâĂ©conomie sociale et solidaire (coopĂ©ratives, mutuelles, associations, fondations et entrepreneurs sociaux).
Mais les garanties Ă©thiques ne suffisent pas : encore faut-il imaginer dâautres formes de mĂ©diation que celles instaurĂ©es par les plates-formes dominantes. Alors que la recherche acadĂ©mique en sciences humaines et sociales recĂšle des gisements dâinnovation, nous nâavons pas les dotations nĂ©cessaires pour dĂ©velopper des logiciels et surtout pour les maintenir et les faire Ă©voluer sur le long terme. Contraint trĂšs tĂŽt de « sortir du labo », les projets sont poussĂ©s Ă dĂ©boucher sur une crĂ©ation dâentreprise avec une logique de rentabilitĂ©. Si jâen crois mon expĂ©rience fondĂ©e sur la crĂ©ation de Needle (une plate-forme de partage et de dĂ©couverte fondĂ©e sur lâintelligence collective), nos incubateurs et lâensemble du dispositif de valorisation de la recherche manquent dâoutils pour accompagner des innovations sociales et la crĂ©ation de sociĂ©tĂ©s coopĂ©ratives.
La prise en compte de notre empreinte numĂ©rique est balbutiante. Nous sommes loin de disposer de mĂ©dias numĂ©riques de service public financĂ©s par un impĂŽt sur les revenus de la publicitĂ© en ligne, tels que le proposait le chercheur Ethan Zuckermann en 2020. Pourtant, nous avons toutes et tous une responsabilitĂ© dans la rĂ©invention du web et pour explorer dâautres formes de dĂ©couverte et de partage de lâinformation peut-ĂȘtre moins clinquantes, mais sans doute plus vertueuses.
Julien Falgas, Maßtre de conférences au Centre de recherche sur les médiations, Université de Lorraine
Cet article est republiĂ© Ă partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire lâarticle original.
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