Les complĂ©ments dâobjet indirects : aspects syntaxiques
Plan de lâarticle :
I. Définition générale
II. Préposition inaugurale et nature syntaxique
III. RĂšgles de transformation
IV. Conclusions et bibliographie
I. Définition générale
Que sont les complĂ©ments dâobjet indirects (COI) ?
Les complĂ©ments dâobjet indirects (COI) sont reconnus par la tradition grammaticale comme des complĂ©ments essentiels du verbe, Ă lâaune des complĂ©ments dâobjet directs (COD). Ils se caractĂ©risent, au regard de ces derniers, par leur syntaxe particuliĂšrement et notamment par la prĂ©position inaugurale qui les introduit (1).
(1) Je parle Ă Jean.
Leur repĂ©rage, cependant, est plus complexe dans la mesure oĂč ils ressemblent, superficiellement, Ă dâautres types de groupes prĂ©positionnels, notamment la famille des complĂ©ments dits « circonstanciels », des complĂ©ments Ă valeur scĂ©nique ou de certains complĂ©ments de phrase, qui partagent dâailleurs parfois certaines de leurs propriĂ©tĂ©s. Ces problĂšmes ont Ă©tĂ©, en grammaire scolaire, longtemps indĂ©passables : et il Ă©tait frĂ©quent que les manuels identifient comme des COI des complĂ©ments circonstanciels, et rĂ©ciproquement.
Historiquement, il y a effectivement une relation entre ces complĂ©ments : un certain nombre de COI ont Ă©tĂ©, dans lâhistoire de la langue française, des complĂ©ments circonstanciels qui ont Ă©tĂ© progressivement intĂ©grĂ©s dans la valence verbale. En effet, un certain nombre de ces complĂ©ments, parce quâils accompagnaient trĂšs souvent un verbe et Ă©taient cohĂ©rents avec son sĂ©mantisme, ont fini par dĂ©velopper une relation de solidaritĂ© assez forte avec le verbe et devenir un de ses actants.
Le COI se définit donc comme un complément essentiel du verbe, introduit par une préposition et distinct, par ses propriétés, des autres types de groupes prépositionnels.
Le lien, cependant, entre le COI et le verbe est plus lĂąche quâavec un COD ou un attribut, dans la mesure oĂč lâon a prĂ©cisĂ©ment besoin dâune prĂ©position pour assurer la relation avec le verbe. En ce sens, et au-delĂ des paramĂštres syntaxiques que lâon Ă©numĂšrera ci-aprĂšs, le paramĂštre sĂ©mantique est essentiel pour identifier les COI. Câest en effet le contexte, et la relation de sens entre le verbe et le COI, qui orientera lâanalyse.
Ainsi, un complĂ©ment locatif du type Ă lâĂ©cole sera bien un COI du verbe aller, dans la mesure oĂč le sens du verbe suppose un complĂ©ment indiquant le point dâarrivĂ©e du mouvement ; en revanche, il sera davantage un complĂ©ment circonstanciel, Ă valeur scĂ©nique, derriĂšre un verbe comme parler puisque son sĂ©mantisme, ou son « drame » pour reprendre la formule de TesniĂšres, nâimplique pas une prĂ©cision locative au regard du schĂ©ma actanciel du verbe oĂč lâon attendrait davantage la personne Ă qui lâon parle, ou le sujet de la discussion.
(2a) Je vais Ă lâĂ©cole (COI)
(2b) Je parle Ă lâĂ©cole (circonstant) de mathĂ©matiques (COI)
Dans cet article, nous ne reviendrons pas sur ces aspects sĂ©mantiques, qui feront lâobjet dâun dĂ©veloppement approfondi dans un futur billet sur les circonstants. Il y a, en revanche, des Ă©lĂ©ments syntaxiques assez stables sur lesquels il est bon de revenir ici pour identifier les COI.
II. Préposition inaugurale et nature syntaxique
La prĂ©position introduisant le COI demeure lâun de ses traits fondamentaux : câest ce qui le distingue notamment des COD et des attributs. En revanche, la nature du COI peut ĂȘtre diverse. On peut trouver lĂ des noyaux nominaux (substantifs ou pronoms), des infinitifs (forme « quasi-nominale » du verbe) ou des subordonnĂ©es, complĂ©tives ou intĂ©gratives (dites encore « indĂ©finies »).
(3a) Je parle de Pierre / de moi (noyau nominal)
(3b) Je parle de partir (noyau infinitif)
(3c) Je parle de ce que je veux (noyau subordonnée complétive)
(3d) Je parle de qui je veux (noyau subordonnée indéfinie)
Les prĂ©positions introduisant des COI sont Ă©galement multiples. Outre la triade Ă /de/en, composĂ©e des prĂ©positions les plus usuelles du français, nous pouvons Ă©galement trouver, toujours selon le sĂ©mantisme du verbe, dâautres prĂ©positions au sens plus transparent comme sur (je mâassois sur une chaise), contre (je mâappuie contre le mur) ou pour (je vote pour mon candidat). On retiendra cependant deux Ă©lĂ©ments les concernant :
(i) Dâune part, le choix de la prĂ©position est contraint par le verbe. Si certains dâentre eux autorisent, avec diffĂ©rents effets de sens, une certaine variation, la chose est rare en français.
(4a) Je parle Ă /de/pour Jean.
(4b) *Je vais selon lâĂ©cole
(ii) Dâautre part, il faut que le sens de la prĂ©position, dans le cas oĂč celle-ci nâest pas Ă , de ou en, soit cohĂ©rent avec le verbe. Ainsi, on acceptera volontiers une prĂ©position locative avec un verbe de mouvement (5a), mais il sera plus difficile dâemployer une prĂ©position liĂ©e au but ou Ă lâintention (5b).
(5a) Il parvient jusquâau sommet.
(5b) *Il parvient pour le sommet.
Câest prĂ©cisĂ©ment parce quâil y a cohĂ©rence entre le sens du verbe et la prĂ©position quâhistoriquement, la rĂ©analyse du circonstant en COI a pu se faire progressivement. On notera dâailleurs que la prĂ©position permet de distinguer divers sens Ă un verbe, en fonction du mode de construction du complĂ©ment :
(6a) Je connais Jean.
(6b) Le juge connaĂźt de lâaffaire (= « ĂȘtre capable de juger lâaffaire »)
Parfois encore, le choix de la prĂ©position oriente lâinterprĂ©tation, avec des nuances plus ou moins fines. On a vu rĂ©cemment, dans la langue moderne, se stabiliser une opposition entre habiter Ă Paris et habiter sur Paris, la prĂ©position sur indiquant une localisation plus lointaine ou plus vague (Ă Paris = intra-muros ; sur Paris = dans le voisinage de Paris, en banlieue proche par exemple). Aussi, lâusage continue de modifier la valence verbale en sâappuyant sur la complexitĂ© des prĂ©positions, pour dĂ©terminer des effets de sens nouveaux.
III. RĂšgles de transformation
Certaines rĂšgles de transformation syntaxique permettent Ă©galement dâorienter lâanalyse, et de distinguer les « vrais » COI, câest-Ă -dire les actants du verbe, dâautres types de groupes prĂ©positionnels, en jouant sur le lien syntaxique que le COI entretient avec son verbe. Notamment les COI peut ĂȘtre pronominalisĂ©s en position prĂ©verbale :
(7a) Je parle de Jean <=> Jâen parle.
(7b) Je parle lentement <â > *Je le parle.
(7c) Je parle Ă voix basse <â > *Jây parle
Au regard des COD ou des attributs en revanche, les rÚgles de pronominalisation de COI sont un peu plus complexes. On doit notamment distinguer trois régimes de transformation, en fonction et de la nature de la préposition inaugurale, et du statut référentiel du COI selon le paramÚtre +/- humain. On distinguera alors :
(i) Un premier rĂ©gime avec les COI introduits par Ă . La pronominalisation sâeffectue alors soit par y pour les COI -humain (8a), soit par lui pour les COI +humain (8b). Dans ce dernier cas, le pronom lui ne marque pas le genre masculin ou fĂ©minin, que ce soit au niveau grammatical ou ontologique.
(8a) Je rĂ©ponds Ă son courrier <=> Jây rĂ©ponds.
(8b) Je réponds à Marie <=> Je lui réponds.
Dans certains cas, la transformation peut sâeffectuer en conservant un GP introduit par Ă , suivi de lui/elle(s)/eux/ça, en parallĂšle de la pronominalisation en y. Câest un choix fait pour lever, occasionnellement, une ambiguĂŻtĂ© interprĂ©tative. Ainsi, (9a) est tant la transformation de (9b) que de (9c).
(9a) Jây pense.
(9b) Je pense Ă lâavenir (Je pense à ça)
(9c) Je pense Ă mes enfants (Je pense Ă eux)
On notera Ă©galement que y tend nĂ©anmoins Ă se spĂ©cialiser dans le non-humain : câest lâinterprĂ©tation prĂ©fĂ©rentielle, et certaines variĂ©tĂ©s diatopiques (dans le lyonnais par exemple) Ă©tend cette propriĂ©tĂ© au COD, pour distinguer la rĂ©fĂ©rence des complĂ©ments au regard du pronom objet le/la (Je le [Jean] vois vs. Jây [la table] vois).
(ii) Les COI introduits par de se pronominalisent tous par en. Ce pronom est vĂ©ritablement liĂ© au mot-forme de, puisquâon le retrouve Ă©galement pour la transformation des COD introduits par le partitif ou le dĂ©terminant indĂ©fini de. Il faut donc veiller Ă ne pas confondre les formes entre elles, et de vĂ©rifier le statut de de, prĂ©position ou dĂ©terminant.
(10a) Je parle de Jean <=> Jâen parle (COI)
(10b) Je veux de lâeau <=> Jâen veux (COD)
(iii) Enfin, les autres types de COI se pronominalisent sous la forme préposition + pronom pour les animés :
(11a) Jean tourne autour de Marie <=> Jean tourne autour dâelle.
(11b) Je compte sur Jean <=> Je compte sur lui.
Ou, pour les inanimés, par un rappel de la préposition « seule », sans le reste du syntagme.
(12) Jâai votĂ© contre la loi <=> Jâai votĂ© contre.
Lâidentification de ces derniers complĂ©ments comme COI est parfois discutĂ©e, mais deux arguments peuvent ĂȘtre avancĂ©s pour conduire lâanalyse : dâune part, la pronominalisation avec lui est encore autorisĂ©e pour les animĂ©s (13a), mĂȘme si certaines grammaires associent la transformation Ă un niveau de langue populaire ou relĂąchĂ©e. Dâautre part, le dĂ©tachement en tĂȘte dâĂ©noncĂ© est senti comme incorrect ou maladroit (13b). Or, le COI Ă©tant un complĂ©ment verbal, on ne peut le dĂ©placer librement comme on peut le faire avec un complĂ©ment Ă valeur scĂ©nique.
(13a) Jean lui tourne autour.
(13b) ?Autour de Marie, Jean tourne.
Ce test de dĂ©placement en tĂȘte dâĂ©noncĂ© est dâailleurs crucial. Si on peut toujours le faire pour les COI, on notera quâil demande un rappel par cataphore dâun pronom en position prĂ©verbale pour assurer la grammaticalitĂ© de lâĂ©noncĂ©, ce qui nây pas le cas des complĂ©ments Ă valeur scĂ©nique (14).
(14a) (Ă) Jean, je lui parle / ?(Ă Jean), je parle
(14b) Sur le quai, jâ (*y) attends.
La complexitĂ© de ces analyses, et le fait quâelles fassent appel Ă notre sentiment de langue, empĂȘche cependant dâavoir des certitudes absolues pour certains complĂ©ments. En diachronie de mĂȘme, il est pour ainsi dire impossible de mener la discussion, comme nous ne pouvons pas faire appel Ă ce sentiment linguistique.
IV. Conclusions et bibliographie
Les COI nous rappellent, si besoin Ă©tait, que rien dans lâanalyse de langue nâest absolument indiscutable : les phĂ©nomĂšnes grammaticaux ne sont pas des Ă©quations mathĂ©matiques Ă rĂ©soudre, et une part dâinterprĂ©tation sera toujours nĂ©cessaire dans lâanalyse mĂȘme si des tests et des outils nous permettent dâorienter les discussions. Les COI sont des tĂ©moins privilĂ©giĂ©s de cette observation, comme ils se situent Ă la frontiĂšre entre les actants du verbe et les circonstants, sans mĂȘme rentrer dans le terrain, difficile, de lâĂ©volution historique ou de la variation gĂ©ographique.
Parmi les références que nous pouvons donner :
- Jacqueline Pinchon a Ă©crit, en 1972, une Ă©tude sur Les pronoms adverbiaux en et y, hĂ©las non rééditĂ©. Sa consultation permettra cependant dây voir plus clair sur cette question Ă©pineuse.
- Outre les rĂ©fĂ©rences donnĂ©es dans lâarticle sur les prĂ©positions, qui serviront Ă©galement pour la discussion, on lira avec attention lâarticle de Le Querier (1999), sur Fin de partie de Beckett, pour un point de vue stylistique/sĂ©mantique sur la question.
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