Les 3 sans-abris
Hier matin, trois visages, trois présences, trois abîmes d’humanité traversaient ma route comme autant de paraboles vivantes. Trois sans-abris, trois miroirs, trois prières en marche.
Le premier, allongé sous un porche de Belleville, parlait aux pigeons. Il leur donnait des miettes de pain, mais en vérité, c’était lui qui recevait. Recevait leur compagnie, leur regard, leur petite fidélité d’ailes. Dans cet échange dérisoire et immense, il y avait déjà une liturgie : nourrir les oiseaux, c’est se rappeler que nous ne sommes jamais totalement seuls.
Le deuxième, debout dans la station de métro, ne regardait personne, ne voyait personne, mais fixait le plafond. Ses yeux ne voyaient plus le béton, ils traversaient le ciment gris pour chercher plus haut. Comme un psaume, comme une supplication muette. À 6h45, l’heure des balais, des mains fatiguées qui lavent et rangent le monde, cet homme levait les yeux, et dans ce geste vertical, il portait une prière que nul mot n’aurait pu contenir.
La troisième, une femme, dans le couloir du métro, caressait une poupée. Une poupée vieille, fatiguée, peut-être héritée de son enfance. Et soudain, l’évidence m’a brisé : elle avait été petite fille. Elle avait eu des jeux, des rires, une maison peut-être. Et maintenant, elle berçait ce jouet comme un reste de tendresse pour se protéger de l’oubli. J’ai senti toute la fragilité humaine se concentrer en elle, en ce geste tremblant.
Le lendemain, j’ai revu le premier. Il m’a demandé un pain au chocolat aux amandes. Je l’ai acheté, je lui ai donné avec une pièce, et j’ai pleuré. Ces larmes n’étaient pas seulement les miennes, elles venaient de plus loin, elles venaient de nous toustes. Parce qu’il n’est pas normal que l’humain se laisse mourir sous nos porches, que l’humain se perde dans nos souterrains, que l’humain soit réduit à bercer une poupée pour survivre.
Et pendant que nos villes ferment leurs cœurs, Gaza brûle, l’Ukraine saigne, les dictateurs et leurs complices gouvernent à coups de mort. Macron, Poutine, Netanyahou, Trump et tant d’autres accélèrent la destruction de ce qui reste de beau en nous.
Alors, j’ai confié ma prière à Marie. Marie, non pas figure lointaine, mais Marie proche, Marie mère des exilé·e·s, mère des oublié·e·s, mère des sans-abris. Marie qui connaît le froid de la crèche, la fuite en Égypte, le poids des larmes. Marie qui amplifie nos pauvres lumières.
Qu’elle porte nos pleurs vers son Fils, qu’elle lui dise nos faims et nos soifs, nos solitudes et nos renoncements. Qu’elle ravive en nous la braise de la tendresse et la flamme de la justice. Et si nos forces manquent, si nos cœurs se ferment, qu’elle prie pour nous, jusqu’à ce que nos larmes deviennent actes, jusqu’à ce que notre humanité se relève.
Haïku
Sous le porche gris
un pain au chocolat tendre,
larmes sur mes mains.
Tanka
Trois ombres passées,
poupée contre un cœur brisé,
regards qui s’élèvent.
Marie, mère des errant·e·s,
porte nos pleurs en prière.
Sonnet au matin
Sous les pavés glacés d’une ville endormie,
j’ai vu trois sans-abris comme trois évangiles.
Leur silence portait des paroles fragiles,
des prières de chair, des cris à demi enfouis.
Le premier nourrissait les oiseaux attendris,
le second contemplait les plafonds immobiles,
la troisième serrait sa poupée inutile,
et dans leurs yeux brillait l’éclat d’un paradis.
Alors j’ai pris mon pain, j’ai tendu mes deux mains,
et j’ai senti couler mes larmes jusqu’au train,
comme une eau de baptême au cœur de la misère.
Et j’ai confié mes pleurs à Marie la douce,
qu’elle en fasse une flamme ardente et jamais lasse,
pour que nos larmes enfin deviennent lumière.