La Silicon Valley est-elle devenue fasciste ?
La fin de l’idéologie californienne
Fred Turner, dans l'esprit de son ouvrage Aux sources de l'utopie numérique : de la contre-culture à la cyberculture (C&F Éditions), rappelle que la Silicon Valley s’est construite sur l’« idéologie californienne » : mélange de cybernétique et de spiritualité New Age. Une vision où la technologie devait libérer les individus des institutions et de la politique. Ce récit fondateur s’effondre aujourd’hui. L’industrie n’est plus animée par le rêve de connexion, mais par une logique de l’extraction : extraction massive de données, d’énergie, de ressources foncières pour soutenir l’infrastructure du numérique.
Un déplacement géographique vers le Texas
Avec l’arrivée d’immenses fermes de serveurs et des industries énergivores de l’IA et de la crypto, une partie de la tech se tourne vers le Texas. Or l’ « idéologie texane » est bien différente de l’idéologie californienne : nationalisme chrétien, conservatisme, extractivisme pétrolier et héritage industriel. Ce déplacement coïncide avec le rapprochement avec Trump, figure politique qui incarne ce modèle économique et offre aux entreprises la permissivité réglementaire qu’elles recherchent.
Une Silicon Valley fracturée : « rouge » contre « bleue »
Olivier Alexandre, dans la lignée de son ouvrage La Tech (Seuil, 2023) insiste sur le fait la Silicon Valley n’est pas un bloc. Il propose de distinguer deux camps : une technologie « rouge », tournée vers la culture du hardware, résolument plus conservatrice ; et une technologie « bleue », héritière de la culture du software, qui reste attachée au progressisme de l’utopie californienne. Entre ces deux camps, la tech est devenue un champ de bataille idéologique.
Une idéologie qui s’exporte : le risque d’un alignement européen
Fred Turner souligne que les imaginaires de la Silicon Valley se propagent largement : la croyance que l’IA pourrait devenir une superintelligence autonome influence déjà les dirigeants et hauts fonctionnaires européens. Cette adoption sans réserve ni critique des récits californiens pousse l’Europe à suivre l’agenda techno-politique américain, au détriment de ses propres valeurs et son propre modèle numérique.
Pour aller plus loin :
Fred Turner, Politique des machines, Caen, C&F éditions, 2025.
Olivier Alexandre, La Tech. Quand la Silicon Valley refait le monde, Paris, Seuil, 2023.
Olivier Alexandre, Tech. When Silicon Valley Remakes the World, Oakland (CA), University of California Press, 2025 (version américaine, actualisée et remaniée).