iel et littérature !
On fait usage assez fréquemment du pronom iel dans les dernières traductions des textes de SF, par exemple au Belial ou chez l'Atalante (dans des romans où sont convoqués des personnages à l'identité de genre incertaine - surtout quand il s'agit d'extra-terrestres, mais pas forcément : on a des humains androgynes, qui ne choisissent pas, ou choisissent les deux, ou aucun des deux, etc.. comme chez Becky Chambers ou Martha Wells, pour citer deux autrices que j'ai lues (avec amour) récemment.
Je prends un exemple dans un excellent bouquin de John Scalzi, Kaiju Preservation Society, traduit en français à l'Atalante sous le titre de "La Société protectrice des Kaijus".
“And this is Niamh. They do astronomy and physics, and I do organic chemistry and some geology."
"« Voici Niamh. Iel s’occupe d’astronomie et de physique. Quant à moi, je suis dans la chimie organique et un peu dans la géologie."
Je me pose la question pour mes propres textes de l'usage pertinent de ces pronoms "iel" (et ses dérivés). D'un point de vue purement "sonore" (la poésie de la langue), je trouve iel très agréable à prononcer - il se coule parfaitement bien dans une phrase, un dialogue. Peu de gens dans mon entourage l'utilise à oral - mais je ne fréquente pas les milieux urbains branchés, peut-être est-il plus répandu dans ces mondes-là ? Vous me direz.
Mais, évidemment (enfin, c'est une évidence pour moi), l'usage dans le texte est déterminé par le contexte. Par exemple, le milieu d'où vient le personnage ou le narrateur qui "parle ou qui pense" - il faut qu'il ou elle (ou iel 😎 ) soit familiarisé‧e avec cet usage. Ça n'aurait aucun sens de mettre un "iel" dans la bouche d'un personnage sociologiquement, intellectuellement et affectivement complètement étranger à la problématique du genre.
Même si vous écrivez selon la perspective d'un narrateur omniscient, l'usage de iel pour qualifier une personne ne va pas de soi. Le point de vue d'un narrateur omniscient ne doit pas être confondu avec le point de vue (indéterminable en réalité) de l'autrice ou de l'auteur. Ou bien le contexte, l'époque par exemple, ne s'y prête pas : dans Moldanau, (où j'ai beaucoup joué sur cette différence entre l'auteur et le narrateur), le caractère et les choix des personnages, leur culture, la topographie (un morceau de montagne perdue quelque dans une Europe Centrale imaginaire), ne m'ont pas conduit à faire usage de iel.
Mais j'y pense pour des textes futurs. J'ai bien failli y recourir pour mes pièces de théâtre (et j'aurais sans doute dû : les textes n'ayant pas encore été publiés, je pourrais très bien apporter des modification en ce sens plus tard - le pronom conviendrait fort bien à certains personnages) : d'autant plus que iel se prononce fort bien à voix haute : le théâtre est fait pour être lu et joué sur une scène. Le test de l'oralité est donc crucial, il faut que les spectateurs entendent et comprennent ce "iel" sans avoir eu le sentiment de mal entendre.
Dans mes textes théoriques, j'utilise désormais régulièrement (plus ou moins à ma sauce, l'essentiel est que l'idée soit clarifiée quelle que soit les techniques d'inclusivité, ou de "diversité"', auxquelles on recourt) le point median ou quelque chose qui y ressemble. C'est possible dans un texte théorique où la question du sens prime sur celle de la langue et du style. On ne compte pas forcément qu'il soit lu à haute voix. La "sonorité", la matière poétique du texte n'est pas ce qui importe. Mais en littérature, le point median, je ne vois pas comment en faire un usage pertinent. Excepté dans certains contextes (pourquoi pas dans la Science Fiction !).
Je serais ravi d'entendre vos réflexions à ce sujet, notamment si vous êtes vous-mêmes écrivain‧e ou traducteur/traductrice. Dans le domaine littéraire donc.
Chez moi, c'est en chantier, work in progress.
NB : Inutile de répondre en m'expliquant que l'on DOIT faire comme ci ou comme ça, et que c'est tout et qu'on ne discute pas. Je parle ici de problèmes littéraires, donc à des lectrices et lecteurs, des écrivain‧es. Pour le reste, je pense être assez réglo (même si, comme toujours, je suis les règles uniquement si elles sont devenues miennes, pas parce qu'elles sont des règles)