TLJPL: Une autre série de posts de chialage contre la gauche québécoise/canadienne.
Ça fait un an maintenant que j'ai réussi à quitter des sphères d'emploi plus conservatrices - les équipes sur le plancher étaient géniales, c'est vraiment plusse une question de mission/direction - et je me rends compte, à mon grand désarroi, que je ne suis pas beaucoup plus confortable dans les milieux d'emploi progressistes.
Je vais noter rapidement quelques problèmes majeurs dans un pouet postérieur. Ici, je vais me limiter à trois points concernant la forme.
1. Compartimentation du discours
Si je n'ai jamais aimé les reconnaissances territoriales et la présence de prières autochtones dans les événements militants et académiques - je les tolère, sans plus - ce n'est pas parce que je suis hostile aux manières de faire autochtones.
C'est parce que ces manifestations ne visent pas à autre chose qu'à rendre légitime la séance de discussion qui suit, ce qui a pour effet de compartimenter les rôles et la discussion.
Autrement dit, les invité-e-s autochtones seront souvent limité-e-s dans l'espace à une pratique rituelle sacrée, et les «intellos» (racisé-e-s ou pas) seront ensuite en quelque sorte «libéré-e-s».
J'ai déjà suggéré d'intégrer des aîné-e-s autochtones à un panel au lieu de les limiter à ce rôle rituel - ça a provoqué des sourires forcés mais aucune réponse.
Il y a vingt ans déjà, le milieu anticolonial savait pourtant très bien qu'il fallait éviter de «folkloriser» les cultures, autrement dit de les réduire à une pratique traditionnelle ou pseudo-traditionnelle. On avait parfaitement conscience qu'il fallait aussi mettre de l'avant la contemporanéité des cultures. «Folkloriser» une culture, c'était la tuer.
C'était perçu comme une forme assez violente de racisme, utilisée férocement par les empires coloniaux et des États pour essentialiser des peuples entiers et mieux les contrôler en imposant un cadre à leur expression culturelle. C'est aussi une méthode de cooptation coloniale: assurer une représentation de groupes ou d'individus colonisés sans leur donner de pouvoir réel.
Ce genre de mécanismes n'a pas été aussi marquant que les lois visant à interdire le folklore (lisez sur la Danse du soleil et la Loi sur les Indiens en 1895). Assez toutefois pour être dénoncé dans des oeuvres faites par des Blancs/ches (comme Le temps des bouffons en 1985 - et je sais à quel point ça a mal vieilli).
Les organismes progressistes «décoloniaux» se précipitent dans ce piège, souvent parce qu'ils ont l'impression que c'est la «bonne chose à faire». Ce faisant, leur discours contribue à folkloriser les cultures autochtones en les sur-spiritualisant - les rituels autochtones n'étaient pourtant pas plus lourds que ceux du monde chrétien européen de l'époque coloniale (avec ses messes interminables en latin et ses innombrables prières à heure fixe).
Les organismes progressistes «décoloniaux» contribuent parfois à faire des Premières Nations des peuples-officiants, tellement la demande de rituels autochtones grandit en ce moment, et je m'inquiète pour le rôle qu'on pourrait imposer à terme, dans nos organisations, à nos membres autochtones.
Je pense que si la tendance se maintient, on va éventuellement arriver à un point de rupture. Les Autochtones vont simplement refuser de mener des prières cérémonielles dans des événements d'organisations à majorité allochtone et exiger qu'on leur accorde d'autres rôles.
2. Le «code»
Il y a une douzaine d'années, une bonne partie de la gauche québécoise (et sans doute plus largement occidentale, mais j'ai pas lu de littérature là-dessus, juste assisté à des discussions informelles) a fait son examen de conscience vis-à-vis de la pression qu'on met sur les épaules de gens qui ne respectent pas un certain «code».
On respectait ce «code» en adoptant un certain vocabulaire (à l'époque c'était par exemple «diversité des tactiques», «clients-prostituteurs», «se réapproprier son cri», etc.) connoté et en participant au rituel.
Par extension, ne pas respecter ce code vous mettait en assez mauvaise posture lorsque vous assistiez à des événements, peu importe les idées que vous défendiez.
À l'époque, on a vertement critiqué cette tendance pour des raisons évidentes: c'est un obstacle à l'accessibilité. Notamment aux personnes:
- qui ont moins d'éducation;
- qui apprennent à nous connaître;
- qui viennent d'ailleurs;
- qui parlent un anglais/français de base seulement;
- qui trouvent ça crissement dull, comme moi[1].
Il semble depuis qu'on ait câlicé cette critique-là aux vidanges et qu'on soit largement revenu-e-s à un code encore plus strict qu'autrefois, avec des formules communes ampoulées, redondantes et un ton plus souvent qu'autrement grandiloquent.
On favorise non pas le transfert d'informations mais l'imprécation[2]. Ce qui m'amène à parler du dernier point:
3. Le partage de connaissances
Je pense que d'avoir, au sein de son équipe, quelqu'un qui valorise la recherche, c'est très précieux. C'est pourtant souvent pas le cas dans les équipes d'organismes progressistes, qui vont écrire des «statements» et favoriser l'imitation sans vérifier les infos.
Je vais pas m'étendre sur cette critique, juste mentionner une «anecdote», que j'appelle le Tio'tià:ke gate (je suis lea seul-le à l'appeler de même).
Il y a quelques années, lorsque la tendance des reconnaissances de territoire a commencé à s'affirmer, c'est avec une certaine perplexité que j'ai entendu un premier «Tio'tià:ke, territoire ancestral des Kanien'kehá:ka».
Pas que ce soit faux, au contraire. Je parlerai de cette histoire-là - très peu connue et encore moins reconnue - plus tard, lorsque je serai certain-e que je pourrai en parler sans me faire fucking canceller, et que j'en aurai jasé avec Éric PT.
Ce qui m'a gossé-e en fait, c'est l'absence des Anishinaabeg, qu'on a totalement effacé-e-s de l'histoire. Ça a pris au moins cinq ans avant qu'iels soient finalement intégré-e-s (avec les Wendats et une mention du style «lieu de rencontre de nombreuses nations»).
Lorsque les nationaleux/ses ont entendu «territoire ancestral des Kanien'kehá:ka pour la première fois, iels ont aussi sauté au plafond, parce que ça contrevenait à leur mythe national selon lequel les Anishinaabeg leur ont «donné» ce territoire alors quasiment vidé de ses populations iroquoïennes/hochelagaïennes (?).
C'est drôle à dire, mais les nationaleux/ses avaient un point: les Anishinaabeg occupaient effectivement une partie du territoire, de manière fluide. Iels étaient présent-e-s à Laval aussi.
Au lieu de s'excuser et de corriger leur erreur, les esties de gauchistes «décoloniaux/ales» ont juste ordonné aux voix discordantes de s'la fermer. Incluant des voix anishinaabeg[3].
Il y a même eu des réactions épidermiques face aux reconnaissances territoriales plus vagues qui mentionnaient des «territoires autochtones volés». Fallait impérativement nommer les Kanien'kehá:ka et personne d'autre.
Sfaque on a effacé l'histoire anishinaabeg pendant un bon gros 5 ans, avant de rétropédaler discrètement pis de donner aux Anishinaabeg une belle médaille d'argent de Deuxième Nation.
Pendant ces 5 années-là, absolument personne n'a été en mesure de convenablement diffuser largement des résultats de recherches qui faisaient la lumière sur l'histoire de Tio'tià:ke (du moins au cours de la période 1534-1608). Personne n'a fait un nécessaire travail d'éducation - ou celleux qui l'ont fait n'ont pas été écouté-e-s.
Ce qui fait que dans mon univers militant - mis à part les gens qui ont étudié en histoire, mais même là, c'est faible - personne sait pourquoi, câlice, on est passé-e-s de «territoire kanien'kehá:ka non-cédé» à «lieu de rencontre de nombreuses nations, dont les [...] et nous reconnaissons que les kanien'kehá:ka sont les gardien-ne-s de ces terres et de ces eaux [version courte]».
Personne ne connaît l'histoire de la Mission de la Montagne[4], ni celle de Sault-au-Récollet. Personne ne cherche à la connaître. On se limite à imiter la reconnaissance territoriale en vogue, «parce que c'est la bonne chose à faire», sans manifester la moindre curiosité.
Toute l'énergie - une énergie considérable - est mise dans la forme, le symbole, le rituel.
Il y a une indifférence totale vis-à-vis le partage des connaissances, qui sont nécessaires à nous faire progresser. Il est fort probable d'ailleurs que dans quelques années, on se morde les doigts d'avoir effacé l'histoire des Hochelagas/Iroquoïen-ne-s du Saint-Laurent dans nos reconnaissances territoriales.
Ça c'est une «anecdote», mais vous comprenez le concept. Une bonne partie des organisations progressistes favorisent ce genre de rigidité ignorante. Plusieurs vont se justifier en disant qu'elles se fient sur la «méthodologie autochtone». C'est absolument faux. Elles se fient sur l'organisme d'à côté et/ou un discours de début de manif d'une estie de minute max.
Conclusion
Gang.
Peinturons donc pas les Autochtones dans un tabarnaque de petit coin. Les Autochtones sont pas toustes pareil-le-s. Yen a qui veulent être astronautes, d'autres poètes/poétesses. Iels ont des talents divers. Les Autochtones ne se réduisent pas à leur spiritualité. Les Autochtones ne doivent pas juste servir à apporter leur sanction à nos niaiseries.
Favorisons donc le contenu et les connaissances, même si c'est un peu au dépens de la forme. C'est pas grave si des fois, ça sort un peu tout croche: vaut mieux que ça sorte.
#Colonialisme #Sacré #Rituel #gauche
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[1]C'est pour ça que je crissais quasiment toutes les brochures d'extrême-gauche au recyclage sans les finir.
[2]Autrement dit, c'est comme si on jetait des sortilèges.
[3] Je tiens cette info d'une intervenante en itinérance.
[4]Un texte lacunaire sur le sujet, mais quand même pertinent: https://ville.montreal.qc.ca/memoiresdesmontrealais/la-mission-de-la-montagne-et-le-fort-des-messieurs